Vincent PERONNAUD, Directeur Général de l’OPAC de l’Oise
Suivre des indicateurs déconnectés de la réalité ou attribuer efficacement des logements en travaillant chaque demande avec attention ?
Monde virtuel ou monde réel ?
Voici autant d’interrogations que se posent les professionnels du logement social.
Une succession impressionnante de textes réglementaires (Loi Lamy, Loi ALUR, loi ELAN etc…) a tenté de rendre plus lisibles et plus efficaces les politiques d’attribution de logements sociaux. Au final, le processus d’attribution est devenu une véritable « usine à gaz ».
Il était un peu facile de pointer du doigt les professionnels que nous sommes et dans la foulée de décider de légiférer au plan national en prétendant résoudre la paupérisation et la ghettoïsation des quartiers pauvres.
Mais remettons l’église au milieu du village.
S’il existe des pauvres en France et que leur nombre croit, le mouvement HLM dans son ensemble n’y est pour rien.
Or nous offrons sur le marché les loyers les moins chers, surtout dans nos immeubles de plus de 40 ans et donc nous y attirons les populations les moins favorisées qui ne peuvent se loger dignement ailleurs.
Alors, oui, nous observons une concentration accrue de ces populations dans nos immeubles.
Et le phénomène s’accroit à chaque crise économique.
Ainsi après celle de 2008, le pouvoir d’achat des français a connu en moyenne une très faible augmentation. Par contre il a clairement reculé dans les quartiers prioritaires.
2021 et 2022 s’annoncent par avance sous les pires auspices pour ces mêmes résidents, qui, plus que d’autres, seront soumis au chômage partiel ou complet, au recul de l’APL, au retour probable d’une certaine inflation…
Alors comment faire pour « rééquilibrer » les quartiers ?
La rénovation urbaine de ces quartiers n’a que très peu modifié la donne. A l’échelle nationale en 2014, seulement 4% de diversification de la population après la rénovation urbaine dans les quartiers concernés.
Rénover les logements, les infrastructures, les équipements c’est long, coûteux, nécessaire mais pas suffisant car ça ne modifie pas fondamentalement la sociologie de ces quartiers.
Pour ce faire, il faut les rendre attractifs aux demandeurs de logement un peu plus aisés et y retrouver un ascenseur social capable d’en faire partir ceux qui le souhaitent et de faire évoluer ceux qui y restent.
Que regarde en priorité, après le prix, un demandeur de logement pour s’installer?
et depuis la crise du Covid, la possibilité de profiter d’espaces de plein air.
Seule la question du transport s’est améliorée ici ou là.
Les transformations sociologiques profondes des quartiers populaires ne sont intervenues qu’en périphérie de quartiers devenus hors de prix qui ont poussé un public de classe moyenne en dehors des hyper centres.
Donc pour aboutir à plus de mixité territoriale, il faut :
et après de longues années de transformation et de combat on y observera plus de mixité.
Le temps politique n’est pas compatible avec celui de la transformation profonde des quartiers.
Alors on légifère sur les modalités d’attribution laissant à croire que les bailleurs sont responsables de cette situation et que les populations ne demandent qu’à déménager dans le sens décrété par la loi.
Mais a-t-on interrogé les habitants ? « Voulez-vous quitter votre quartier ? » La réponse est majoritairement non. Quand ils le quittent c’est par progression dans l’échelle sociale. Je ne suis plus dans la « cité » car j’ai réussi. La preuve : « je me suis acheté une maison en quartier périphérique et la voiture qui va avec ».
Nous ne sommes pas en pays totalitaire. Donc les populations ne bougent que si elles peuvent et si elles ont envie de bouger.
Réglementer en la matière est inutile et inefficace.
Qu’à cela ne tienne, on a une nouvelle solution miracle : changer le mode de gestion des réservations de stock en flux et mettre en place la cotation de la demande.
Croyons-nous un seul instant qu’un peu de souplesse hypothétique gagnée dans le processus d’attribution va changer en quoi que ce soit l’attractivité des immeubles ? Croyons-nous vraiment qu’un chiffre accolé à une demande de logement va améliorer les ressources de nos futurs locataires ?
On ne s’attaque donc pas à la transformation profonde : on joue à un monopoly virtuel, sans les moyens d’une politique d’envergure pour renverser la partie.
Vincent Peronnaud, Directeur Général de l’OPAC de l’Oise