La tentation est toujours grande, en temps de crise, de faire porter à certains acteurs, plus qu’à d’autres, la charge de résoudre les difficultés que rencontrent les plus modestes, dans notre pays.
Et les acteurs du logement social ne sont pas épargnés. Force est en effet de constater que l’on entend toutes sortes d’affirmations sur le logement social et les bailleurs sociaux, affirmations qui déforment la réalité et remettent en cause un modèle de cohésion sociale unique en Europe et essentiel pour l’avenir.
Ainsi, on entend, par exemple, que le nombre de demandeurs n’est pas aussi élevé que les bailleurs sociaux et leurs partenaires le prétendent, que les bailleurs sociaux n’auraient pas de difficultés à construire malgré le contexte économique (couts des matériaux et du foncier), que le bouclier énergétique fonctionnerait bien et protègerait tous les locataires. Finalement, les bailleurs, qui disposeraient de fonds propres conséquents, seraient à même d’absorber les ponctions financières (comme la RLS depuis 2017), le renchérissement du coût de l’emprunt (avec l’augmentation du taux de Livret A), ainsi que le coût exorbitant de la rénovation, la loi imposant une rénovation drastique de centaines de milliers de logements sous peine d’interdiction de location…
En tant que Président de l’URH Hauts-de-France, je m’élève contre ces affirmations qui ne rendent pas compte de la réalité de la situation économique et sociale dans laquelle les bailleurs œuvrent au quotidien.
Bien loin de ces images d’Epinal véhiculées parfois même par les pouvoirs publics eux-mêmes, la réalité ressemble malheureusement bien plus à une bombe à retardement !
D’un point de vue financier d’abord, la RLS (Réduction de Loyer de Solidarité) continue à grever très lourdement les finances de tous les bailleurs, souvent à hauteur de plusieurs millions d’euros par an pour chacun d’entre eux. Ce sont autant de fonds propres non fléchés sur leurs investissements, au bénéfice du budget de l’État. Et je ne parle pas de la répercussion totale de l’augmentation du taux de Livret A qui augmente considérablement la dette de ces derniers et qui se chiffre en milliards d’euros cette fois. Inutile de revenir davantage non plus sur le contexte de crise inflationniste que nous connaissons, qui alourdit structurellement le coût des opérations de construction. Ajoutons à cela l’obligation drastique de rénovation des logements qui, même si elle se justifie pleinement au regard des enjeux de transition environnementale et de crise énergétique, n’est pas soutenable financièrement en l’état… Sans compter la nécessité pour les bailleurs d’accompagner les locataires les plus exposés à la crise énergétique (adaptation des modalités de paiement, abondement des Fonds de Solidarité Logement, dispositifs d’aide exceptionnels)…
C’est malheureusement le modèle économique du Logement social qui est interrogé.
On voit bien que la tentation de l’Etat serait forte à nous faire choisir entre construction ou réhabilitation ou encore à remettre en question l’universalité du modèle français en poussant les locataires les moins fragilisés à quitter le logement social pour un parcours résidentiel incertain sur de nombreux territoires.
Nous nous refusons à masquer la situation dans notre région particulièrement concernée par ces enjeux ! Par conviction autant que par devoir. La conviction que nous, bailleurs sociaux, sommes appelés à jouer un rôle majeur pour la cohésion sociale et l’intérêt général ; le devoir d’assurer la mise à disposition et l’entretien d’un parc de logements ouvert au plus grand nombre afin d’assurer une mixité sociale que nous jugeons essentielle.
Alors comment concilier tous ces enjeux ? Cela passe bien évidemment par une volonté plus affirmée des pouvoirs publics, qui pourrait se traduire par l’élaboration, à l’échelle nationale, d’un Pacte de confiance, d’ailleurs annoncé par le Gouvernement. Dans ce contexte, en contrepartie de tous les efforts exigés des bailleurs, nous souhaitons une suspension de la RLS pour compenser l’augmentation du taux de Livret A ainsi qu’une plus grande visibilité sur les moyens pluri-annuels fléchés sur la rénovation énergétique des logements (car il s’agit ici d’une action sur le temps long)…
Une grande loi de programmation pluri-annuelle du logement pourrait intégrer l’ensemble de ces enjeux et enfin apporter au Logement social un éclairage à la hauteur de ce qu’il est : un acteur majeur de la cohésion sociale nationale et en région.
Ensemble, avec les bailleurs sociaux régionaux, nous portons au quotidien ces enjeux auprès des élus et des pouvoirs publics régionaux, afin de garantir au plus grand nombre un logement accessible et de qualité.
Jean Louis COTTIGNY, Président de l’URH Hauts-de-France